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vendredi 11 février 2022

ACTUALITÉ JURIDIQUE AU BURKINA FASO, QUELLE LECTURE ?

Ces dernières années l'actualité juridique au Burkina Faso a été beaucoup mouvementée. En effet depuis plus d'une dizaine d'années des réformes et des tentatives de réformes ont été initiées ou menées par les autorités politiques diverses. Le constat est que cela traduit une instabilité juridique qui n'est pas sans conséquence sur la stabilité politique du pays.





UNE INSTABILITÉ JURIDIQUE, CAUSE DE L'INSTABILITÉ POLITIQUE ! 


Depuis les années 2011-2012 le pays a connu fréquemment une actualité houleuse sur les plans juridique et legal. La tentative de réforme majeure demeure celle au sujet de l'article 37 de la constitution de l'époque et de l'institutionnalisation du Sénat. On se rappelle que la volonté d'opérer ces réformes avait nécessité la mise en place d'un cadre de concertation pour les réformes politiques (CCRP). Chose qui a longtemps animée la classe politique jusqu'à un aboutissement inattendu en 2014 avec la chute du régime Compaoré. 

Sous la transition politique de 2015 des réformes ont été opérées également. Le milieu juridique a été mouvementé par la même occasion. Là également on se souvient qu'au départ de la transition des forces vives ont dû adopté une charte de la transition après l'appel du Conseil Constitutionnel et on a assisté à la suspension de la constitution. En outre la fameuse loi "Shérif" a été adoptée, entre autres,et consacrait l'exclusion de certains candidats issus de l'ex majorité,en guise de sanction politique pour leur part de responsabilité dans les évènements ayant conduit à l'insurrection populaire des 30 et 31 Octobre 2014. 

Le nouveau régime issu des élections du 29 Novembre 2015 a à son tour adopté des réformes et marqué l'actualité juridique qui cependant était éclipsée par la situation sécuritaire du pays. De la révision du code pénal à l'adoption de la loi portant création des volontaires pour la défense de la patrie (VDP) en passant par la relecture de la constitution et du code électoral,on a assisté à de nombreuses réformes qui cependant, ne se sont pas toujours inscrites dans la durée et n'ont pas toujours été à l'origine d'institutions fortes.

Ce manque de "solidité" dans la durée de certaines réformes a été la cause de crises politiques fréquentes et donc d'une instabilité politique parce que les institutions républicaines demeurent moins fortes. Par conséquent la mission des praticiens du Droit et des exécutants des textes s'avère délicate.D'autant plus que de nouveaux éléments entrent en jeu, notamment les aspects de légitimité et de rapport de force.


L'IMPACT DE LA LÉGITIMITÉ ET DU RAPPORT DE FORCE SUR LE DROIT ET LA LÉGALITÉ.


La remarque que nous avons pu faire est que la notion de légitimité interfère fréquemment dans l'interprétation et l'exécution des normes au Burkina Faso ces dernières années. La fragilité des institutions liée à la non solidité du système normatif facilitent cet état des choses. En rappel cette notion de légitimité avait fortement encourager, à juste titre une grande partie de la population qui s'était insurgée contre la modification de l'article 37 de la constitution en 2014.

Par la suite plusieurs décisions et textes ont été votés selon le rapport de force au profit des principaux acteurs du moment. Ce fut le cas de la dissolution du Régiment de Sécurité Présidentiel (RSP),le cas de la validation de la loi "Shérif" malgré la réserve émise par la cour de justice de la CEDEAO,etc.

Il est alors certains que notre système normatif et nos institutions sont loin de la force nécessaire pour garantir une stabilité politique durable. En plus de cette instabilité le défit sécuritaire depuis 2016 a rendu difficile la gouvernance politique. Ce qui a largement contribué à l'avènement du MPSR au pouvoir par Coup d'État du 24 janvier 2022.

L'on constate encore une actualité juridique bouillante. En effet les principales institutions républicaines ayant été dissoutes par les acteurs du coup d'État,il fallait camoufler au sujet d'une base juridique sur laquelle fonder le nouveau pouvoir. D'où la création par le MPSR de l'Acte Fondamental contenant des dispositions à travers des Titres et des articles.

L'aspect rapport de force entrant en jeu, l'Acte Fondamental semble se superposer à la constitution et la rend implicitement subordonnée à l'acte fondamental en cas de contradiction. L'article 36 de l'acte fondamental stipule qu'"avant l'adoption d'une charte de transition,les dispositions du présent Acte fondamental fondent le pouvoir du Mouvement Patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration."

Le même article précise dans son alinéa 2 que" dès sa signature, l'Acte Fondamental lève la suspension de la constitution du 2 Juin 1991 qui s'applique à l'exception des ses dispositions incompatibles avec le présent Acte."

 On perçoit clairement une situation qui affecte la supériorité de la constitution censée être au sommet de la hiérarchie des normes.On se pose alors la question de savoir s'il était nécessaire de lever la suspension de la constitution vu qu'elle ne pourra pas s'appliquer pleinement dans toutes ses dispositions.

L'impact des aspects de légitimité et de rapport de force est d'autant plus grand qu'il affecte par moment l'attitude des acteurs de la société en fonction de la conjoncture sociale. Par exemple le coup d'État du 24 janvier semble être bien accueilli par bon nombre de personnes,pas au nom de la légalité en tout cas!

Comme mentionné plus haut ces facteurs ne facilitent pas non plus la tâche des praticiens et des acteurs du droit et de la justice qui semblent s'adapter à la situation du moment au détriment des principes juridiques et légaux.

 En témoigne les décisions du Conseil Constitutionnel qui après avoir constater à juste titre la vacance de la Présidence du Faso par décision n° 2022-003/CC du 08 février 2022  a décidé de la dévolution des fonctions du Président du Faso au profit du L.C.P.H Damiba par décision n° 2022-004 de la même date.

Cette dernière décision sur la dévolution du pouvoir a suscité beaucoup de réactions chez les acteurs du Droit. En décidant ainsi le Conseil Constitutionnel n'a-t-il pas constitutionnalisé indirectement les coups d'État comme moyen d'accession au pouvoir ? Les sages du Conseil Constitutionnel ne pouvaient- ils pas se contenter de constater la vacance de pouvoir à la Présidence du Faso et de prendre acte de la situation actuelle en appellant à un retour rapide à l'ordre Constitutionnel? 

Une chose est certaine la conjoncture actuelle ne facilite pas les choses pour les autorités en charge de l'application du Droit. D'ailleurs au sujet des juridictions ,si l'article 33 de l'Acte Fondamental rappelle que" la justice est indépendante" dans l'alinéa 1, son alinéa 2 précise par contre que" les juridictions conservent leurs prérogatives en ce qu'elles n'ont rien de contraire au présent Acte". 

Est-ce à dire que les juridictions perdent leurs prérogatives en tout ce dont elles auront de contraire à l'acte fondamental, consacrant ainsi la suprématie de cet acte fondamental à la constitution ? En somme,au Burkina Faso le Droit et la légalité sont fortement impactés par la volonté politique des acteurs disposant d'un rapport de force favorable d'une part et d'autre part par des interprétations de la part de l'élite sur la base de la légitimité. Mais légitimité jusqu'à quand ? Puisque la pratique nous montre clairement qu'après avoir utilisé la notion de légitimité pour couvrir un pouvoir ou une situation conjoncturelle donnée,dans la gouvernance,les principaux acteurs finissent par s'éloigner des valeurs qui renvoient à cette légitimité.

Il est alors capital de réussir à se doter d'un arsenal juridique solide s'inscrivant dans la durée afin d'avoir un encrage important d'institutions fortes au Burkina Faso. Après quoi,il vaudra mieux s'attacher fortement aux principes afin d'éviter l'exploitation des différents systèmes de gestion de la société Burkinabè en fonction des rapports de force du moment.

Issouf SAGNON.

@sagnon_issouf.

Sagnon226.blogspot.com


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